Maurizia
Manfredi
Retrospective 1990 - 2009
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Le travail de Précédemment, dans la série « Murs
et graffiti », elle évoquait les murs antique de sa ville, témoins
du passé, qui comme un palimpseste s’effacent et se recouvrent en
strates successives de la représentation du quotidien. Les « Histoires de sable », les « Jardins de Giotto », et «Intérieur
avec personnage » expriment sa vision poétique et onirique de la
nature immergée dans un éternel présent. Plus récemment, Maurizia a retravaillé sur le thème de
« Venise » et a développé ses représentations oniriques dans « La maison de la psychè » |
Accoster à La maison de la psychè Lorsque que
j’écris ce texte, j’ai cinquante ans et nous sommes en 2008. Les
œuvres qui sont associées à « La maison
de la psychè », auxquelles il se réfère, ont peut-être pris racine
lorsque j’avais quarante ans. Je dis « peut-être » car si je
devais résumer brièvement mon parcours depuis l’enfance, elles seraient
les plus appropriées. Déjà, dans les « Histoires
de sable » des années 70/80 émergent des éléments similaires. Dans « Murs et graffiti », au cours des années 80,
c’étaient les signes et la matière qui reprenaient le fil conducteur et
les figures qui affleuraient composaient déjà un prélude à la découverte
archéologique, à l’extraction, à l’itinéraire moins personnel et
plus collectif qui m’a menée à la série « Anthologie ».
Il y a eu une période intermédiaire, « Les
jardins de Giotto », qui se référait au parc communal de Padoue qui
entoure la « Chapelle des Scrovegni », un écart vers la nature
repensée par la raison mais que j’ai transformée, comme toujours, cette
fois par l’utilisation de la couleur : je m’en souviens comme d’une phase solaire et
vertigineuse. Précisément durant
cette période j’ai passé de longs séjours en avril et en mai sur un
minuscule îlot volcanique, Linosa, quasiment en Afrique. J’y étais en
compagnie de même pas cinq cents habitants. J’avais choisi une petite
« maison de campagne », ils l’appelaient ainsi parce
qu’elle se trouvait à un kilomètre du bourg et du port des pêcheurs,
sur « la Punta », parce qu’elle se situait en haut d’un
promontoire. C’était un parallélépipède au toit plat, une maison
méditerranéenne typique. Elle avait aussi un escalier extérieur en ciment qui
menait sur la terrasse : je restais là, des moments infinis à regarder
les volumes et les rapports qui les reliaient. Elle était dépouillée, faite
de rien, le minimum indispensable, mais pour moi c’était un royaume,
mon observatoire. Il y avait une falaise à quelques pas vers l’ouest :
dessous, la mer et j’imaginais voir les poissons, ils menaient leur vie
parfois bruyante et assombrie par la peur, parfois transparente et gracieuse.
Le sentier de pouzzolane arrivait à la limite du précipice et le contournait pour descendre vers la
mer du côté le plus bas. Mais surtout au coucher du soleil en écoutant ma
musique préférée je dansais à l’infini et me sentais unie avec cette
nature, trop intense pour mes habitudes de citadine. La Déesse Mère était à
mes côtés, elle était l’île, et moi j’étais tout cela. Des années plus
tard, seulement, j’ai visité Malte que je voyais au loin, mais je
savais déjà que c’était là, dans ces îles, que régnait la déesse
préhistorique. Je n’ai jamais autant marché de ma vie. En une heure et
demie je faisais tout le tour de l’île et le long de ce parcours je
voyais des merveilles que l’écriture ne me permet de transmettre que
partiellement. Après plus de dix ans, j’espère que « le radeau
d’Orphée », comme je
l’appelais, où le temps devient cyclique, est encore comme cela :
la nature sauvage, les petites collines volcaniques recouvertes de Barbe de
Jupiter en fleur, les murets de pierre péniblement construits pour dégager du
terrain et protéger quelques chèvres, quelques parcelles plantées de lentilles,
de vignes. Les baies émeraude de pierres volcaniques, tantôt coupantes,
tantôt descendant paresseusement en gradins, tantôt formant de parfaits
pentaèdres lisses et brillants comme l’obsidienne. Les falaises
friables de pierres calcaires jaunes, à pic sur la mer, là où un jour une
puanteur terrible m’a menée en présence d’une énorme tortue en
putréfaction. Les pouzzolanes qui descendent vers la mer, tantôt grises,
tantôt noires serties de brillants bleu d’orient, tantôt jaune ocre,
rouges Herculanum et terre de Sienne brulée. Poussières qui servent à
fabriquer la peinture. Je me souviens des petits cratères, des tours de guet
abandonnées, des figuiers de Barbarie dessinés en contraste sur la pierre de
lave ; les puffins et les autres oiseaux de passage, les lézards noirs
et lisses, semblables à de petits serpents ; le mérou géant qui un jour
est presque monté dans le bateau de mon ami pêcheur qui lui avait déjà donné
un nom et qui savait qu’un jour il le retrouverait. Quand, après avoir
mordu à l’hameçon, s’être fait remorquer et s’être fait
admirer dans toute sa puissance et sa splendeur, il se détacha magiquement
pour reprendre sa vie. Mon ami dissimulait ses blessures aux mains et ses
larmes de rage. J’espère que ce monde sous-marin est toujours aussi riche
et prospère - en ce temps là, quasi
tropical - comme je le rêvais depuis que j’étais toute petite, comme il
revient pour hanter mes nuits. Je me souviens de ces tacots de mer échoués,
éventrés per les rochers un jour de tempête, dont les passagers immigrés
sans-papiers n’avaient laissé ni trace ni souvenir. Il n’y avait
pas de silence dans cette solitude : j’ai découvert là que la
nature est plutôt bruyante, mais quelles sonorités ! Alors,
j’imaginais le vacarme, l’épouvantable fracas à l’occasion
de la naissance de l’ île, dans un passé lointain, quand dans
l’ébullition du tremblement de mer les volcans sont remontés et avec
eux les couches sableuses de grès jaunes faisant apparaitre les coquillages
ensevelis depuis le nuit des temps dans le mouvement du serpent qui se mord
la queue : dans l’éternité du présent. Le volcan aurait pu se
retourner dans son sommeil mais le risque paraissait lointain. A
l’inverse de cette nuit à Santorin où, enveloppée dans les brumes
tièdes qui serpentaient rapidement depuis la marmite marine en escaladant les
falaises, je ressentais l’ébullition des eaux et le terrain qui remuait
… le risque semblait alors se transformer en une épouvantable réalité.
Les impressions ne manquaient pas à Linosa, pourtant elles étaient un peu redimensionnées,
il restait seulement la sensation agréable de marcher quelques centimètres au
dessus de la terre. Cette maison, cette petite boite de briques enduite de
chaux blanche avec les chats, fournis en plus, que je nourrissais chaque jour
et avec lesquels je parlais et je jouais, avec les fenêtres ouvertes sur les
aubes enchantées entre les collines brumeuses et les couchers de soleil sur
la mer, qui marquaient la nostalgie des journées écoulées mais aussi la
promesse de nuits étoilées, de chants nocturnes des puffins, de ciel bleu
foncé, de tempêtes, de nuages et de vents … tout cela, et encore plus,
a marqué la personne que je suis. Les terres cuites
de “La maison
de la psychè” sont nées comme cela. |